À partir de novembre 2021, les bahá’ís du monde entier observeront le centième anniversaire du décès de ‘Abdu’l-Bahá, le fils aîné de Bahá’u’lláh et chef de la foi bahá’íe de 1892 à 1921.
En tant que successeur de son père et seul interprète autorisé de ses enseignements, ‘Abdu’l-Bahá a dirigé l’expansion de la foi bahá’íe, qui, d’un mouvement religieux essentiellement oriental, est devenue une communauté religieuse mondiale couvrant l’orient et l’occident. Les bahá’ís le considèrent comme le parfait exemple, en paroles et en actes, de tout ce que Bahá’u’lláh a enseigné.
Cette année du centenaire est l’occasion de réfléchir à sa vie et à ses contributions à la foi bahá’íe et à la cause de la paix dans le monde.
Une vie d’exil et d’emprisonnement
‘Abdu’l-Bahá est né Abbás Effendi, le 23 mai 1844 à Téhéran, en Iran. En 1852, alors qu’il avait huit ans, le gouvernement perse a exilé Bahá’u’lláh à Bagdad, dans l’Empire ottoman, dans le but d’éradiquer la nouvelle foi. À 12 ans, le jeune Abbás gérait déjà le flot ininterrompu de visiteurs qui cherchaient à rencontrer son père.
Après des bannissements successifs à Constantinople et à Edirne, la famille de Bahá’u’lláh et ses compagnons d’exil ont été incarcérés en 1868 à ‘Akká, la colonie pénitentiaire de l’Empire ottoman, près de Haïfa, dans l’actuel Israël. La ville entière était une prison, isolée d’un côté par le désert et de l’autre par la mer. ‘Abdu’l-Bahá y restera en détention pendant les 40 années suivantes.
Malgré les privations de la famille, il se fait connaître pour sa charité généreuse envers les pauvres, qui font la queue à sa porte chaque vendredi. « Il se poste à un angle étroit de la rue », écrit un observateur,
« et fait signe aux gens de venir vers lui. […] Lorsqu’ils arrivent, ils tendent leurs mains. Dans chaque paume ouverte, il place quelques petites pièces de monnaie. Il les connaît tous. Il les caresse avec sa main sur le visage, sur les épaules, sur la tête . » 1
’Abdu’l-Bahá au Canada
Pour les Canadiens, le centenaire de cette année revêt une signification particulière. ‘Abdu’l-Bahá a été libéré en 1908 lorsqu’une révolution dans l’Empire ottoman a libéré tous les prisonniers politiques. En 1912, il a traversé l’Amérique du Nord pendant huit mois, devenant rapidement un participant reconnu dans les réseaux qui ont façonné le mouvement international pour la paix. On l’appelait l’apôtre de la paix.
‘Abdu’l-Bahá a passé dix jours à Montréal, interpellant les Canadiens avec la vision d’un monde bâti sur l’harmonie religieuse, l’unité raciale, l’égalité des sexes, la justice économique, et sur de nouvelles institutions mondiales qui aboliraient la guerre et assureraient une société mondiale unie. « Puissiez-vous devenir la cause de l’unité et de l’entente entre les nations », a-t-il dit. Cent ans plus tard, bon nombre des principes et des valeurs défendus par ‘Abdu’l-Bahá sont reconnus comme faisant partie intégrante de l’identité canadienne.
Le séjour de ‘Abdu’l-Bahá à Montréal a été largement couvert par la presse francophone et anglophone. Un journaliste du Toronto Star a consigné ses impressions :
Imaginez un homme aux cheveux gris, plus vieux que son âge, avec une barbe patriarcale et un visage marqué par beaucoup de souffrances et de réflexions sérieuses, un homme pourtant beau, avec un front haut et intelligent et les yeux idéalistes d’un rêveur, un homme de pouvoir, de détermination aussi, qui suivra un seul chemin quand il saura que c’est le bon, même s’il doit y perdre la vie. […] Mettez-lui un turban blanc sur la tête et suspendez une robe de toile grise sur ses épaules majestueuses. Et vous aurez Abdul Baha. 2
Dans ses déclarations publiques, ‘Abdu’l-Bahá ne s’est pas fait d’illusions sur les perspectives immédiates de la cause de la paix qu’il défendait.
« Le continent européen, » a-t-il dit, « est un vaste arsenal, qui n’a besoin que d’une seule étincelle à sa base pour que l’Europe entière devienne une région sauvage désolée. […] Et quels minces prétextes, quels impudents prétextes ils utilisent ! 3
Le patriotisme, disent-ils ; la gloire, disent-ils ; l’édification du continent, disent-ils. Quelle parodie de la vérité de Dieu ! »
La guerre éclate en Europe huit mois après son retour à Haïfa, mais ‘Abdu’l-Bahá s’était déjà préparé au pire. Il avait acheté des terres agricoles en Galilée pour y faire pousser du blé, qu’il stockait sous terre près de Haïfa. Lorsqu’un blocus menace la région de famine, ‘Abdu’l-Bahá nourrit le nord de la Palestine : riches et pauvres, musulmans, juifs et chrétiens - un acte humanitaire pour lequel il accepte d’être fait chevalier par le roi George V.
‘Abdu’l-Bahá a entretenu une correspondance avec des centaines de personnes, écrivant 20 000 lettres adressées vers l’Orient et vers l’Occident. Pendant les années de guerre, il a envoyé quatorze messages marquants, demandant aux bahá’ís d’Amérique du Nord de se disperser dans le monde entier pour enseigner leur foi. Et il a laissé aux Canadiens une vision particulière de la promesse d’avenir de notre nation. « L’avenir du dominion du Canada, » écrit-il, « est très grand, et les événements qui s’y rattachent sont infiniment glorieux. L’oeil de la bienveillance de Dieu se tournera vers lui et il deviendra la manifestation des faveurs du Très-Glorieux »
Ce que ‘Abdu’l-Bahá a légué
‘Abdu’l-Bahá est mort le 28 novembre 1921 à Haïfa. Dix mille personnes assistent à ses funérailles. Dans son testament, il a établi un système d’organes élus, locaux, nationaux et internationaux, ainsi que des normes de gouvernance, afin de garantir l’unité de la foi bahá’íe et de diriger sa croissance et sa vie communautaire.
Un siècle plus tard, la foi bahá’íe reste unique en ce qu’elle a résisté aux forces de division qui ont ceint les principales religions du monde en dénominations et en sectes. Les bahá’ís vivent maintenant dans plus de 100 000 localités dans le monde et des institutions bahá’íes ont été établies dans plus de 200 pays et territoires. La première assemblée spirituelle locale au Canada a été formée à Montréal en 1922, et l’Assemblée spirituelle nationale a été constituée en 1948 par une loi du Parlement.
Aujourd’hui, les principes défendus par ‘Abdu’l-Bahá sur l’unité religieuse, la paix internationale, la justice raciale et économique, l’égalité des hommes et des femmes, et des dizaines d’autres questions, sont à l’avant-garde de la plupart des mouvements progressistes. Les bahá’ís du monde entier proviennent de plus de 2 000 groupes nationaux et ethniques.
Il est maintenant clair que, grâce à la puissance de l’exemple de ‘Abdu’l-Bahá — le leadership qu’il a fourni, les écrits qu’il a laissés, les plans qu’il a élaborés et les institutions qu’il a créées — la croissance de la foi bahá’íe en tant que religion mondiale et son modèle distinctif de vie communautaire sont en grande partie le résultat de sa vie et de son travail.
Lorsque ‘Abdu’l-Bahá est arrivé à Montréal pour son séjour de dix jours en 1912, seule une poignée de bahá’ís pouvaient considérer le Canada comme leur pays. Ils ne vivaient que dans quelques villes et villages répartis dans notre vaste pays. Sans enseignants et sans textes écrits, ils n’avaient qu’une compréhension rudimentaire des enseignements de leur religion. La visite de ‘Abdu’l-Bahá a insufflé aux bahá’ís dispersés un sentiment d’appartenance à une communauté et une orientation axée sur la propagation de leur foi, qui allait durer un siècle.
« J’ai semé la graine », a dit ‘Abdu’l-Bahá à ses auditeurs lors de son dernier jour à Montréal. « Vous devez l’arroser. »
- Myron Phelps, Life and Teachings of Abbas Effendi, 1903. ↩
- Texte paru le 7 septembre 1912 dans le Toronto Star Weekly, cité dans : Amin Egea, The Apostle of Peace: A Survey of References to ‘Abdu’l-Bahá in the Western Press, 1871–1921, Vol. 1, 414. ↩
- Texte paru le 11 septembre 1912 dans le Buffalo Courrier. On peut lire l’article complet à l’adresse. ↩